Introduction
Les 8 et 9 novembre se déroulait, au Palais des Congrès de Paris, la deuxième édition de l’Open Source Experience (OSXP). Cet événement était une formidable opportunité pour les différentes personnes et structures membres de l’écosystème du libre ou intéressées par ce dernier de se rencontrer et d’échanger. Ce salon était aussi particulièrement intéressant pour les différentes conférences aux cours desquelles il était possible de découvrir des visions, d’avoir des retours techniques et organisationnel sur le monde du logiciel libre.
Nous vous proposons ici de faire une restitution des quelques conférences auxquelles nous avons pu assister. Le propos ne sera donc pas exhaustif, puisqu’il a très souvent fallu faire des sacrifices en assistant uniquement à certaines présentations notamment parce qu’il y avait superposition de sujets et qu’il était aussi important de rencontrer plus directement les personnes sur les divers stands.
Bilan des conférences
Valorisation du logiciel libre dans une DSI
On aura constaté que de nombreuses conférences organisées par les membres de différentes OSPO ont mis en avant les façons de valoriser le logiciel libre. La présentation de Gilles Viton pour exposer la stratégie d’Orange France1 détaillera, en particulier, tout un processus permettant de faciliter dans un temps long l’adoption du logiciel à sources ouvertes. Ici, la mise en place de contraintes lors de validations de lancement de projets impose l’étude de ces solutions, alors que les relais par des ambassadeurs permettent de créer de la saillance sur le sujet.
Mais c’est surtout le jeu financier qui permet d’inciter à l’adoption en donnant une valeur économique à l’utilisation des logiciels à sources ouvertes. La démarche consiste à mesurer les gains et à les exposer aux instances de direction. Ces gains sont mesurés de deux façons : soit en comparant les coûts de licence avec ceux d’un éditeur de solution propriétaire, soit en comparant les charges humaines de maintenance avec celles d’un logiciel développé en interne. Les économies qui apparaissent permettent alors de communiquer sur l’usage des logiciels à code ouvert comme étant au service d’une dynamique « gagnant/gagnant », car l’entreprise assurera aussi de la contribution.
Cette organisation d’Orange France aura d’ailleurs été récompensée par le CNLL avec le prix de la meilleure stratégie open source.
1Gilles Viton, « Démarche pour généraliser l’utilisation de logiciels open source communautaires existants » (OSXP 2022, Paris, 8 novembre 2022), https://www.youtube.com/watch?v=yU6BFwbn5NM.
Être éditeur de logiciels libres
Si cette position était celle du « consommateur » de logiciel, d’autres conférences adoptaient le point de vue des producteurs de logiciels à sources ouvertes. En particulier, les dirigeants de quatre sociétés1 (Pierre Baudraco de Bluemind, Julien Mathis, de Centreon, Yannick Seiller, de FactorFX et Ludovic Dubost de XWiki) exposèrent leur vision de ce qu’était un éditeur de logiciel open source. Leurs trajectoires semblant globalement indiquer une évolution de la stratégie qui reposait au départ sur des revenus provenant des activités de service et donc à faible récurrence et se transformant jusqu’à se baser quasi exclusivement sur des souscriptions pour le logiciel dont elles sont éditrices. Souvent, d’ailleurs, ces souscriptions sont la base d’un modèle open core, avec une part du logiciel qui reste propriétaire et à laquelle seuls les clients accèdent. Une exception tout de même : XWiki, dont les souscriptions ne font que fournir l’accès à des modules empaquetés (packagés), mais dont le code reste disponible en libre accès.
Ces dirigeants ont beaucoup mis l’accent sur le fait que ce qui attirait les clients et les retenait, c’était la qualité du produit : avoir quelque chose qui « fonctionn[ait] ». Cette conviction justifiant très largement que ces éditeurs aient une forte part de leur activité dédiée à la R&D (25 % des effectifs chez Centreon, par exemple). On constate aussi dans la majorité des cas que la valorisation commerciale est déléguée aux partenaires qui font l’essentiel, voire la totalité, des ventes de ces éditeurs. Par ailleurs, un élément saillant est que le modèle d’affaire actuel de ces structures a reposé sur l’utilisation de la liquidité générée par la vente de services ponctuels ayant pour résultante le maintien de l’autonomie dans leur gouvernance qui excluait tout investissement extérieur.
1Pierre Baudracco et al., « Open Source Business Lab #6 : Différentes stratégies pour éditer un logiciel en open source » (OSXP 2022, Paris, 8 novembre 2022), https://www.youtube.com/watch?v=cTxi5vcNQuM.
Démarche de contribution
De l’autre côté, au nombre des autres conférences, Jean Couteau1 alertait sur l’impression que les communs numériques qu’étaient les logiciels libres n’étaient pas assez soutenus financièrement et expliquait le modèle qu’avait mis en place la société Code Lutin : l’allocation par un vote démocratique interne d’une part du chiffre d’affaires à des projets logiciels choisis. Ce choix résultait de réflexions ayant navigué entre la création d’un fonds, la mise en place d’une association et la solution finalement retenue.
Ce modèle a été formalisé sous la forme de trois principes clés : répartition démocratique, redevance annuelle dont le montant est déterminé par une formule, et affectation au libre.
Le principe de répartition démocratique avait été défini en cohérence avec la vision de la gouvernance de l’entreprise qui est une SCIC et qui cherche à considérer de façon égale chacun des employés. Ce principe a un avantage fort, au-delà de la position déontologique, qui est de permettre à chaque personne d’allouer sa contribution financière à hauteur de la valeur qu’il accorde au logiciel. S’incarne donc dans un processus simple une équivalence directe entre la valorisation individuelle et le niveau de contribution engagé.
Le second principe apparaît comme une base pour éviter un engagement dépassant les moyens de l’entreprise et permet, en quelque sorte, de figer dans une règle l’esprit par lequel l’entreprise cherche à s’engager pour le libre. La redevance peut donc être d’un pourcentage du chiffre d’affaires, du bénéfice, ou autre. Celui-ci permet, de façon claire, d’établir une valorisation du logiciel libre par le collectif et de définir le niveau de contribution comme une variable d’un ou de plusieurs éléments en lien avec le fonctionnement de l’organisation.
Dans le cas de Code lutin, cette part dédiée à la contribution est aussi valorisée par une mention dans les factures adressées aux clients. On peut voir dans cette mention un intérêt : la mise en évidence du besoin de financement du logiciel libre et de l’engagement de certaines organisations en ce sens.
Le troisième principe (que l’allocation soit destinée au logiciel libre) est plus attendu, et probablement peu sujet à discussion.
Ces principes et la valorisation des montants alloués sont accessibles sur le site web copiepublique dont le nom est une petite réponse à la loi de redevance sur la copie privée.
Si cette conférence nous était apparue importante, c’est, entre autres, parce qu’elle résonnait avec la nôtre2. Nous avions tenté de présenter, à travers le cas d’Arawa, la façon dont une entreprise du logiciel libre pouvait naviguer entre les contraintes du monde des affaires, sa responsabilité envers ses clients et ses salariés, mais aussi et surtout envers les communautés du libre. Nous avions essayé de montrer que les contributions étaient présentes en amont même de la naissance de l’entreprise et étendaient progressivement leur nature et leur volume à mesure de l’évolution de la structure. Il ne s’agissait pas pour nous de donner un modèle, mais d’ouvrir la discussion sur le sujet de la contribution.
1Jean Couteau, « La contribution aux communs numériques » (OSXP 2022, Paris, 8 novembre 2022), https://www.youtube.com/watch?v=ujPIPM22sDE.
2Philippe Hemmel, « Étendre les modèles de contribution en tant qu’entreprise du logiciel libre » (OSXP 2022, Paris, 8 novembre 2022), https://www.youtube.com/watch?v=fvzCyYdy8KQ.
Enjeux sociétaux plus larges
D’autres conférences auront étendu la vision que l’on pourrait avoir de l’intérêt du libre dans des contextes relativement plus hétéroclites. Isabelle Huynh et Agnès Crepet1 nous montraient que l’ouverture du code était un moyen d’étendre le support logiciel de téléphones, à travers le cas de Fairphone et donc de contribuer à la longévité du matériel informatique qui est bien connu comme étant source importante de déchets. Nous voyions aussi comment l’ouverture de la connaissance était un outil au service de déploiements et d’actions citoyennes beaucoup plus agiles et résilientes que les structures plus formelles basées sur la fermeture. Le libre apparaissait comme un pilier nécessaire, mais non suffisant de la réalisation de projets ou d’ambitions sociétales fortes : « faire de l’Open Source ne rend pas un projet responsable, mais l’Open Source est un levier pour un projet responsable ».
Dans cette ouverture plus générale sur le numérique, Tristan Nitot présentait une analyse de la responsabilité des acteurs des services numériques face aux enjeux climatiques. Il apparaissait que ces acteurs devaient prendre plus sérieusement en compte la question du rapport entre niveau de consommation énergétique et service rendu, et qu’ils avaient probablement à rechercher une certaine concentration des infrastructures tout en travaillant sur une meilleure allocation des ressources matérielles. Nous pensons d’ailleurs que notre produit DivimS essaie de répondre, à son humble échelle, à cet enjeu.
D’un autre côté, le ministère de l’Éducation2 indiquait son ambition de se servir de logiciels libres pour concevoir des services et d’être le support de l’« État-plateforme ». En sus, il mettait en avant le fait que l’ouverture du code source permettait aux élèves d’avoir un matériau d’apprentissage du codage, par la contribution. Le logiciel libre apparaissant alors comme un outil au service de la formation. L’importance du logiciel libre pour le ministère n’est pas nouvelle. Son engagement pris avec la Direction du Numérique pour déployer un BigBlueButton a été récompensé cette année par le CNLL. Nous sommes d’ailleurs très fiers d’avoir contribué au déploiement de ce service dont nous présentions avec Nicolas Schont3 les enjeux ainsi que des composantes techniques.
1Agnès Crepet et Isabelle Huynh, « Le Libre, catalyseur de projets responsables » (OSXP 2022, Paris, 9 novembre 2022), https://www.youtube.com/watch?v=RkLTSvF0gyo.
2Audran Le Baron, « Éducation et Open Source en France » (OSXP 2022, Paris, 8 novembre 2022), https://www.youtube.com/watch?v=tWu_AZhjIlM.
3Thierry Kauffmann et Nicolas Schont, « MENJ : Visio-conférence BigBlueButton mise à l’échelle avec l’orchestrateur DiViM-S » (OSXP 2022, Paris, 9 novembre 2022), https://www.youtube.com/watch?v=dEfaXXe3C8k.
Conclusion
Comme l’année précédente, de nombreuses conférences étaient extrêmement stimulantes. Nous recommandons donc de faire un tour sur les nombreuses rediffusions disponibles sur la chaîne youtube de l’événement.
Par ailleurs, n’hésitez pas à nous contacter si vous cherchez à mettre les logiciels libres au service de vos utilisateurs ou si vous avez envie d’échanger sur les sujets de la contribution.